Les
différents paramètres qui interviennent durant la conduite
d'une macération permettent d'élaborer des vins variés
à partir d'un même raisin. Les paramètres les plus
importants sont la température et la valeur du couple oxydo-réducteur.
Mais avant de rentrer dans des détails techniques, il ne faut
pas perdre ses objectifs : faire du vin pour qu'il soit bon, et qu'il
se vende !
"
Qu'il soit bon " est un caractère subjectif, qui évolue
avec le temps, avec les modes, et parfois sous l'emprise de grands gourous
qui prennent la peine de déguster une cinquantaine d'échantillons
par jour afin d'éviter au consommateur ce travail pénible...
Les temps changent, les goûts aussi. Nous serions surpris si ils
nous fallait boire les vins de nos grands parents. Il existe une dynamique
d'inter-dépendance entres les facteurs suivants qui contribuent
à ces évolutions :
- la recherche
a considérablement fait progresser l'oenologie ces 20 dernières
années
- l'application
de ces connaissances nouvelles arrivent très vite sur le terrain
- les fournisseurs
de matériels et ingrédients oenologiques exercent une
pression importantes sur le vinificateur qui est généralement
assez réceptif et en demande
- le goût
du consommateur et une économie de marché planétaire
imposent un profil de produit.
Globalement,
après 20 ans de pratique, j'observe une ligne directrice : le
marché demande des vins rouges avec des structures tanniques
de plus en plus soft. De la couleur, de la matière, mais pas
de tanins. La moindre astringence devient rédhibitoire.
Au
début des années 80, à mes début, se terminait
un débat qui durait depuis une dizaine d'années au sujet
des égrappoirs. Celui ci permet des macération sans la
rafle, structure de la grappe, qui apporte essentiellement des tanins.
En côtes du Rhône nord, Hermitages, Cornas, St Joseph...
étaient vinifiés en vendanges entières. Les vins
étaient plus rustiques dans leurs jeunesses et demandaient des
périodes de vieillissement relativement longues avant d'obtenir
ces breuvages qui ont fait la réputation de cette région.
Les stocks étaient importants tout autant que les besoins en
fond de roulement. L'égrappoir devint tout de même quasiment
systématique. Je concluais mon rapport de fin d'étude
en constatant qu'un facteur économique modifiait les caractères
organoleptiques des appellations d'origines contrôlées
qui sont garantes des us et coutumes.
Ces mêmes caves s'équipèrent de groupes de froid.
Jusqu'alors les vendanges égrappées dans des cuves béton
finissaient les fermentations alcooliques à des températures
le plus souvent supérieures à 35 °C avec de temps
à autres des problèmes d'arrêt de fermentation.
Puis vint l'époque de " la maîtrise ", à
25 °C, comme dans les livres ! Durant 1 à 2 campagnes, les
vinificateurs cherchèrent
la couleur... où est elle passée ? Les groupes de froid
furent reconsidérés et un peu moins sollicités.
Un
peu plus tard je pratique des macérations à chaud sur
merlot et cabernet en appellation Pomerol : après FOL l'ensemble
de la cuve est stabulée à 40 °C durant 7 à
10 jours. L'extraction est maximale, la couleur est fixée, un
long passage en barrique s'impose.
De
manière "culturelle" j'ai donc pratiqué pour
obtenir des vins "de garde" jusqu'à ces derniers temps
des macérations longues, à température élevées,
avec des extractions physiques poussées (remontages, délestages...)
et des aérations nombreuses. J'obtiens par ces méthodes
des vins très structurés, qui supportent le bois, et non
l'inverse, qui avant d'être " buvables " vont nécessiter
une période de 1 à 3 ans d'élevage, en fonction
de la maturité phénolique de la matière première.
Apparemment,
c'est encore trop long ! Pour présenter des vins souples et structurés,
on entend parler de macérations préfermentaires à
froid, de fermentations basses températures c'est à dire
avec des températures inférieures à 22 ou 23 °C,
comme des phases liquides ! La cinétique et la nature des extractions
sont différentes, aboutissant à l'obtention de vins colorés,
structurés, sans astringence.
Et
demain ...? Nous continuerons doucement la tendances soft... dans le
commerce, le client est roi. Dans environ 5 à 10 ans un vinificateur
refera un vin structuré, un peu rustique dans sa jeunesse comme
30 ans plus tôt, il sera découvert par un épicurien
très médiatique et toute la critique criera au génie
!
La
conduite d'une macération
Le
vinificateur conduit une macération par dégustation successives
et régulières. C'est le résultat de l'analyse
sensorielle qui oriente le choix des actions à mener. La dégustation
est prospective et demande expérience et intuition. Le vinificateur
connaît très tôt le potentiel de sa matière
première et il est à même de se projeter assez loin
dans le devenir du vin. Sans erreurs majeures. Toute son attention va
se focaliser sur l'extraction des composés phénoliques
(et sur les variation de la valeur du couple oxydo-réducteur)
: ils constituent la structure et la clef qualitative des vins rouges,
sur un vin primeur comme sur un vin de garde.
La fermentation
alcoolique qui se déroule le plus souvent en début
de macération, modifie rapidement et constamment la composition
du milieu. L'augmentation de la teneur en alcool accélère
les cinétiques d'extraction. L'alcool est le solvant préféré
des parfumeurs ! Certains composés sont plus hydrosolubles que
d'autres. Les anthocyanes apparaissent plus vite que les tanins. Les
parois et enveloppes cellulaires se dégradent libérant
leurs contenus sous l'action de l'alcool, du SO2, d'enzymes endogènes
ou exogènes, de la température, ou de procédés
mécaniques (pigeage, remontage, délestage).
La
température
Les levures exigent
des températures comprises entre 15 et 35 °C pour assurer
une fermentation alcoolique (FOL)complète ; La phase d'extraction
se déroule le plus souvent simultanément à la FOL.
En 1982 l'ICV
publiait les résultats suivants :
|
Polyphénols
totaux
|
IC
: DO 420 + DO 520
|
FOL à température constante
- à 20°C
- à 25°C
- à 30°C
|
44
48
52
|
7.100
8.700
9.600
|
FOL à température croissante
-de 20 à 37 °C, M=29.5°C
-de 25 à 35 °C, M=32.6°C
|
52
60
|
12.100
14.300
|
Ils confirment
la pratique. Par contre l'analyse n'exprime pas les différences
organoleptiques de ces tanins. A valeurs égales de polyphénols
totaux, la dégustation d'une macération à 25°C
sera plus souple qu'une macération à 35°C. Plus la
température est élevée, plus on extrait des tanins
qui vont demander à être travaillés pour obtenir
leur assouplissement. Plus la température est basse, plus les
tanins sont "faciles", souples et le vin prêt à
boire. La température va sélectionner la nature de
la matière extraite. Une fois la dissolution effectuée
dans les jus, des réactions chimiques transforment en continue
ces constituants sous l'action de l'oxygène et de catalyseurs
(polymérisation et condensation des tanins). L'évolution
de la macération est donc une chimie complexe et unique, cuve
par cuve. Un paramètre ne peut se substituer à un autre,
température et durée par exemple : une cuvaison à
température élevée et courte durée ne sera
pas équivalente à une macération à température
basse et longue durée.
La conduite d'une
macération sous entend le contrôle et la maîtrise
des températures. Le contrôle se fait 1 à 2 fois
par jour, simultanément au prise de densité qui permettent
de suivre le déroulement des FOL. Ces mesures sont consignées
sur des fiches de fermentations qui sont autant de renseignements pour
le vinificateur. A chaque profil de courbe peut être assimilé
un type de vinification. Ou inversement !
Voici la courbe
d'une vinification "classique"
Puis la courbe
d'une vinification d'un vin primeur , telle que je l'ai pratiquée en Beaujolais. La vendange
est chauffée après encuvage durant 24 à 36 heures
en phase aqueuse, sans alcool, afin de favoriser l'extraction des anthocyanes
et minimiser celle des tanins. La fermentation est régulée
a une température de 25 °C pour se terminer à 20 °C
en phase liquide. Les périodes de macération n'exédent
jamais 6 à 7 jours.
A l'opposé,
dans la pratique comme dans le résultat, la courbe d'une vinification
avec une macération finale à chaud. Cette technique est pratiquée dans
le bordelais. Après FOL la cuve est chauffée à
une température de 40 °C pour obtenir une extraction optimale
des polyphénols en phase hydro-alcoolique. L'action de la chaleur
combinée à des remontages quotidiens délite le
chapeau de marc et la macération se termine avec une phase unique
dans la cuve. C'est assez déroutant ! Une longue période
d'élevage est nécessaire pour mûrir ces vins
Le
couple oxydo-réducteur
Après
un certain niveau d'extraction commence une phase de polymérisation
des tanins très bien perceptible à la dégustation.
De manière simpliste, les tanins ressemble à des chaînes
dont les extrémités provoque la sensation d'astringence.
Si ces chaînes se lient entres elles par leurs extrémités,
l'astringence diminue. La polymérisation ou condensation des
tanins s'effectue par l'intermédiaire de "pont ethanal"
disponible par oxydation de l'alcool éthylique, donc après
FOL, en présence d'oxygène. De l'importance de l'aération
! L'activité fermentaire est consommatrice d'oxygène.
Un apport régulé d'oxygène est nécessaire
durant toute la phase de macération. La quantité à
apporter est propre à chaque cuve est les moyens pour le faire
sont nombreux (remontage à l'air, canne de brassage, micro-bullage...).
La dégustation est la seule manière de contrôler
et de réguler le couple oxydo-réducteur. Un équilibre
"moyen" est maintenu en augmentant l'aération quand
la dégustation s'oriente à la réduction (H2S, oeuf,
renfermé, végétal et herbacé...) ou en diminuant
l'aération quand la dégustation dérive vers l'oxydation
(évent, ethanal, pomme blette, camomille...). La dégustation
doit rester sur le fruit. Certains praticiens, adepte du micro-bullage
termine la macération au stade ethanal, afin de favoriser la
polymérisation des tanins. Je n'ai pas encore essayé....
Les
actions mécaniques
Les actions mécaniques
ont pour but d'homogénéiser phase solide et phase liquide,
et de favoriser l'extraction. Remontage, délestage, pigeage
sont les pratiques les plus utilisées. Ces actions sont indispensables
au bon déroulement d'une macération. Là aussi,
la durée et la fréquence des interventions sont pilotées
par la dégustation et s'adapte à la vendanges.
Les
enzymes pectolitiques
Extraire consiste
à libérer des composés retenus à l'intérieur
de cellule de la baie de raisin. Les enzymes pectolytiques dégradent
les enveloppes cellulaires et aide à la libération des
jus. Phénomène que l'on peut aisément constater
lorsque l'on pratique des délestages quotidiens : le lendemain
de l'enzymage, le volume de jus écoulé augmente de manière
significative.
Aucune lois stricte
ne peut être avancée en ce qui concerne les effet de l'enzymage
sur rouge. De manière générale il assoupli la dégustation
et stabilise la couleur des bon vins. L'augmentation escomptée
de la quantité de polyphénols n'est pas toujours vérifiée.
La température reste le facteur le plus influant.
Sur vendanges
égrappées, l'emploi d'enzyme se décide au feeling...
pour gagner un petit plus de qualité sur des produits déjà
bons. Sur macération carbonique, l'enzymage peut aider à
basculer de la fermentation intracellulaire à la fermentation
levurienne, et amplifie l'extraction initié par la macération
carbonique.
La
durée
A la sempiternelle
question : combien de temps doit cuver un merlot ? réponse immuable
: un certains temps. On ne détermine pas par avance la durée
d'une macération ; on la constate une fois le niveau d'extraction
satisfaisant et optimum obtenu.
Elle peut varier
de 1 à 28 jours. Certains vinificateurs ont prolongé jusqu'à
6 à 8 semaines avec des résultats étonnants : augmentation
de la concentration, de la matière, de la rondeur. Je n'ai jamais
pratiqué... Certains cépages ne tolèrent pas des
durées trop longues. Le pinot par exemple, qui passé 12
à 15 jours développe des arômes végétaux
et herbacés. Il se pourrait qu'il ne s'agisse que d'un cap à
passer, mais je n'ai jamais oser le faire !
Macération
et fermentation malo-lactique
Dans le cas de
cuvaisons longues, il est fréquent dans le Sud de voir les FML
se faire sur marc, et parfois même avant la fin des FOL. Ces situations
sont prétendues à risque car les bactéries, gourmandes,
préfèrent le sucré à l'acide ! Malheureusement
le métabolisme bactérien des sucres génère
de l'acide acétique, marqueur du vinaigre, jamais très
recherché par le vinificateur ! Je n'ai que rarement rencontré
de problèmes majeurs avec des FML sur marc, mais bien cerner
le phénomène est plus prudent.
- FML et
acidité / PH : une valeur haute de PH anticipe la FML
- FML et
sulfitage : les tendances à la diminution des doses de
SO2 sur vendanges favorisent grandement les FML. Un sulfitage de 6
à 8 g / Hl et plus diffère efficacement les FML
- FML et
levures : les levures sont toujours " prioritaires "
sur les bactéries. Les levures métabolisent les sucres
avec un entrain et une effervescence qui dépend du milieu,
de la fermentissibilité du substrat. Si les levures bénéficient
de bonnes conditions de viabilité, les bactéries peuvent
travailler simultanément en fin de FOL. Chaque micro-organisme
respecte son voisin et sait ce qu'il a à faire, et tout va
pour le mieux ! J'ai pu observer des FOL se mettre en plateau à
1010, la FML se faire, la FOL reprendre et se terminer, avec des valeurs
d'acidité volatile de 0,35 sur vin fini. Dans la plupart des
cas la cohabitation se passe très bien. Pour que ces situations
ne se dégradent pas, le milieu doit être favorable aux
micro-organismes et les conditions d'hygiène doivent être
impeccables afin de ne pas laisser le champs ouvert à des populations
opportunistes. Si les conditions de viabilité sont difficile
pour les levures, les bactéries plus résistantes en
profitent et l'on peut observer des début de piqûre lactique.
Un sulfitage de 3 à 5 g / Hl est le moyen le plus simple pour
se prévenir de ce type d'incident. Les levures en difficultés
peuvent s'accommoder de ces doses de SO2. Les bactéries sont
inhibées momentanément si l'intervention est effectuée
précocement. Enrayer une piqûre lactique ou acétique
bien enclenchée avec des doses raisonnables de SO2 est une
utopie.
Une faible quantité
de sucre est toujours présente dans les marcs, même dans
le cas de macérations très longues. Un sulfitage de 3
g / Hl après FOL permet de différer les FML et d'inhiber
des populations minoritaires sans intérêt. Le SO2 est totalement
consommé et ne se retrouve pas à l'analyse sur vins finis.
Il sécurise le travail et permet au vinificateur une plus grande
liberté de réflexion.
Remarques
en vrac
Les jus de presse,
issus du pressurage de la phase solide après écoulage,
sont la partie ultime de l'extraction, par voie mécanique. La
composition de ces jus permet de constater le niveau d'extraction durant
macération : si l'extraction est partielle, les jus de presse
sont plus colorés, plus tanniques, plus astringents que les jus
de goutte. Si l'extraction est poussée, sur une matière
première bien mûre, les jus de presse ont une faible intensité
colorante, aucune astringence et une très faible acidité.
Durant tout la
période de macération, il est impératif de maîtrise
la population bacterienne aérobie qui vit en surface du chapeau
de marc. Les remontages réguliers les noient. Dans le
cas de macération longues à très longues, faire
le plein de la cuve est une des solutions des plus simples.
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